Faktus Timor-Leste

Tuesday, June 7, 2016

Censure pour les médias du Timor?

Avec le cas de Raimundo Oki, arrêté pour avoir enquêté sur des soupçons de corruption, le nouveau conseil de la presse, apte à gérer les conflits concernant la presse, fera face à son premier vrai défi.
Raimundo Oki, journaliste du Timor Post a récemment été poursuivi pour diffamation, une infraction criminelle, pour avoir rédigé le 10 novembre 2015 un article dénonçant la corruption présumée de l’État dans un appel à projet visant à fournir et à installer du matériel informatique dans les services publics.
Ce procès gênant survient alors que le gouvernement du Timor Oriental est sur le point de nommer officiellement les membres de son nouveau Conseil de la presse, l’organisme dévolu au traitement des différends avec les médias dans un cadre légal, notamment par la médiation. Ce système de régulation de la presse, avait pourtant été retiré après plusieurs années de mise à l’étude.
Ce mépris pour le nouveau dispositif de plaintes est d’autant plus incompréhensible que le journal, conformément aux prescriptions de la récente loi sur la presse, a publié une substantielle clarification de l’enquête. Aucune objection n’avait pourtant été faite sur le délai ou l’adéquation de la correction. Tout cela ne semble pourtant pas avoir été suffisant.

Le Premier ministre mis en cause

Nous n’avons plus entendu parler de cette affaire jusqu’à ce que le journaliste Raimundo Oki reçoive une « convocation » du procureur général à Dili au motif que l’article relevait de la violation 285s du code pénal, une version de la diffamation criminelle incohérente et inactive. Cela s’explique sans doute par le fait que la personne mise en cause soit le Dr Rui Maria de Araujo, actuel Premier ministre et ancien conseiller du ministre des Finances à l’époque des faits.
Le 11 avril Raimundo Oki et son ancien collègue Lourenco Martins dûment convoqués et assistés de leurs avocats, ont comparu devant le Procureur général, chacun de son côté à 30 minutes d’intervalle. Les deux hommes ont fait valoir leur droit au silence. Le procureur a lu la déposition qui ne les a pas plus renseignés sur le fond de la plainte ni les motifs de violation de l’article 285s. Ils ont reçu chacun une « lettre » leur interdisant de changer d’adresse ou de voyager à l’étranger sans en avoir informé le procureur avec un préavis de 15 jours. Même si ces sanctions ne sont pas très lourdes, restreindre la libre circulation de ces deux personnes est dans le principe indigne et jette un froid supplémentaire sur une loi déjà condamnable. Le délai dont dispose désormais le procureur pour déposer l’acte d’accusation ou abandonner les charges n’a pas été clairement défini.
L’ironie réside dans le fait que les plaintes pour diffamation, qui ont largement diminué en Indonésie, atteignent aujourd’hui l’État démocratique du Timor Oriental. L’Indonésie, ancien occupant du Timor Oriental, inflige ainsi une leçon cinglante au pays qui doit pouvoir s’améliorer concernant la liberté de la presse. Depuis la chute de Suharto, les journalistes indonésiens luttent farouchement en s’opposant aux poursuites pour diffamation – lesquelles ont cependant considérablement diminué au cours des deux dernières décennies – à l’exemple du procès de Makassar en 2010 (dont le plaignant était pourtant un ancien commandant de Police au Sulawesi Sud), qui a abouti au premier acquittement pour diffamation, gratifiant le combat des journalistes indonésiens d’une très nette victoire.
Suivant l’article 285s du code pénal, lorsqu’un journaliste publie une information qui, «  porte de fausses accusations ou des soupçons d’acte criminel sur un individu avec la possibilité de le poursuivre en justice… » , ce journaliste est passible d’une peine de 3 ans d’emprisonnement ou d’une amende.
L’accusation doit cependant répondre à quatre critères :
  • la publication effective de l’accusation ;
  • le fait que le journaliste connaisse l’inexactitude du grief ;
  • la perpétration d’une infraction ;
  • la volonté de nuire à cet individu au moyen d’une action en justice.
Le cœur du délit requiert la preuve de la volonté de nuire, délibérément et intentionnellement à une personne innocente. L’interprétation stricte et étroite de la loi pénale s’impose. En conséquence, la preuve de chacun des éléments de l’infraction doit être être faite, conformément aux critères légaux. La loi 285s comporte deux aspects principaux.
Premièrement, le journaliste doit être « conscient qu’il commet une fausse accusation ». Il n’est pas fait mention de l’existence de preuve portée à la connaissance du journaliste. Dès lors, l’insuffisance ou l’absence de preuve prima facie ne permet pas de satisfaire à la première condition. Seuls des aveux ou un document confirmant cette volonté de l’auteur de l’article serait suffisante pour que le dossier ne tombe pas à cause d’un manque de preuves. L’interrogatoire de Raimundo Oki n’a rien mentionné de tout cela.
Deuxièmement, la parution doit avoir été faite « avec l’intention d’engager des poursuites contre la personne ». Comment un journaliste pourrait publier un article avec cette intention précise n’est pas clairement établi. Le journaliste peut penser que si les faits rapportés sont vrais, ils mériteraient une enqu^te de la justice. Toutefois, cette décision appartient au bureau du Procureur général. Puisque le discernement du journaliste est l’ingrédient essentiel des deux éléments de l’infraction, le fait d’accuser Raimundo Oki sans cette preuve est troublant.
Vue sous cet angle l’enquête ressemble à un exercice de collecte des informations destiné à « trouver » la substance qui coïncidera aux cases des « crimes » créés par l’article 285s. La question est de savoir dans quelle mesure le procureur va mener son enquête sur un crime « présumé » sans début de preuve. Dès lors, tout journaliste d’investigation rapportant des faits de corruption publique s’exposerait à un délit justiciable de l’article 285s. Un tel déroulement est contraire aux affirmations clairement exprimées aux articles 8 et 9 de la Loi de la Presse garantissant la non-ingérence et la protection de la liberté d’expression contre le harcèlement.
Aucune indication tangible ne permet de dire que Raimundo Oki a publié l’affaire dans un autre but que celui d’informer ses lecteurs sur une question d’intérêt public. Avec le cas d’Oki, le nouveau conseil de la presse, apte à gérer les conflits jugés trop répressifs contre la presse fera face à son premier vrai défi. Malgré les réserves quant à son pouvoir, il semblerait que les nouveaux membres du conseil s’orientent vers un consensus dont la liberté de la presse sera la principale préoccupation. L’investiture officielle des membres du conseil a eu lieu le 3 mai 2016, lors de la Journée mondiale de la liberté de la presse. Compte tenu de l’enquête en cours, cet événement sera très intéressant.
Traduction : Michelle Boileau
Source Jim Nolan* / New Mandala Muzzling Timor’s media
Jim Nolan est un avocat de Sidney conseiller juridique bénévole à l’International Federation of Journalists (Asie Pacifique). En Indonésie, il a assisté en tant qu’Observateur pour l’IFJ à divers procès. Il a participé à de nombreuses actions promouvant la liberté de la presse et contre la diffamation dans le pays. En avril dernier, à Dili, il a siégé auprès des procureurs généraux comme observateur légal pour le compte de la fédération internationale des journalistes en soutien à Raimundo Oki.

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